Genève

Générations Femme

15.02.2021 11h33 Rédaction

femmes

En 1971, les Suissesses acquièrent le droit de vote et d'éligibilité, après des années de lutte. Cette date sonne comme un déclencheur pour la suite. Suivent cinq décennies d'avancées législatives et sociétales, pas toujours rapides. Comment les femmes ont-elles vécu ces moments charnières à leur vingtaine, âge de l'entrée dans la vie adulte ? Rencontre avec cinq Genevoises inspirantes. 

1971-1980 Martine Brunschwig Graf, ancienne conseillère d'Etat

Martine Brunschwig Graf est née à Fribourg. À ce titre à vingt ans, elle n’a pas encore pu voter, le canton ne faisant pas partie des neuf premiers (dont Genève) à avoir donné ce droit au cours des années 60. En février 1971, les femmes obtiennent le droit de vote et d'éligibilité en Suisse. «Je n'avais pas l'âme militante à ce moment là. Je n'avais vécu qu'une année sans droit de vote. C'est plus tard que j'ai compris l'importance de ce qu'avaient fait les femmes qui s'étaient battues pour ce droit» explique Martine Brunschwig Graf.

Plus tard, elle prend conscience des différences entre les femmes mariées et non mariées: «Je suis arrivée à Genève en 1978. J'étais alors célibataire. J'ai donc pu signer mes contrats, ouvrir un compte en banque. Mais les femmes mariées comme ma mère ne pouvaient pas ! Je me suis donc toujours dit que je voulais être autonome, ne pas dépendre d'un homme». 

Pour la libérale, devenue conseillère d’Etat, conseillère nationale, aujourd’hui présidente de la Commission fédérale contre le racisme, l’urgence de cette décennie à venir est l’égalité des salaires: «Nous le demandons depuis 1986-87, il faut le faire maintenant».

1981-1990 Lorella Bertani, avocate

À la vingtaine, Lorella Bertani a déjà ce caractère bien affirmé qu’on lui connaît dans les tribunaux. Elle, dirait même «volcanique». Elle débute sa carrière dans les années 80, avec en fer de lance, un féminisme ancré. Lorella Bertani est fille d’immigré italien. Ce fameux papa, lui transmet les valeurs qu’elle porte aujourd’hui: «C'est assez rare pour un italien, mais mon père était féministe. Très tôt, il m'a fait lire. J'ai découvert une Halimi, devenue modèle pour moi».

Dans la même décennie, la constitution évolue. Celle de 1848 prévoyait déjà l’égalité entre tous les Suisses. Mais en 1981, il est clairement établi que « l’homme et la femme sont égaux en droit ». Autre moment charnière, en 1988. Le nouveau droit matrimonial entre en vigueur. L’homme n’est officiellement plus chef de famille. Les femmes peuvent désormais ouvrir un compte bancaire et travailler sans l’accord de leur époux. Lorella Bertani le résume en ces termes: «Nous devenions maintenant maîtresses de nos destins».

1991-2000 Sophie Dugerdil, vigneronne

Sophie Dugerdil est vigneronne à Dardagny, à la tête du domaine. Mais à vingt ans, elle est en études pour devenir professeur de sport: «C'était un milieu très masculin, il n'y avait qu'un tiers de filles dans la formation. Mais je voyais quand même la différence avec le milieu traditionnel paysan dans lequel j'avais grandi».

Au même moment, en 1991, les femmes de Suisse font entendre leur voix. Car dix ans après l’inscription de l’égalité dans la constitution, elle n’est pas là dans les faits. 500 000 femmes font grève. Agée de 21 ans, Sophie Dugerdil n’y participe pas: «J'ai un peu honte maintenant. Mais je crois qu'à vingt ans, on est encore un peu dans sa bulle. Mon féminisme s'est affirmé avec mes expériences». 

Elle devient donc professeur de sport, fait une formation en géographie, dans le vin, voyage beaucoup, et part en mission pour le CICR. Puis elle change de voie. Elle reprend le domaine familial, non sans quelques remarques d'un milieu très masculin: «On me demandait parfois qui était le patron par exemple !»

Pour Sophie Dugerdil, un bon bout de chemin vers l’égalité a été fait. Il faut désormais concrétiser les choses: «Les lois existent, il faut les appliquer». 

 

2001-2010 Eva Niyibizi, médecin

À 20 ans, Eva Niyibizi a choisi la médecine. Sa mère, elle-même infirmière, l'a encouragée dans cette direction: «Ma maman n'a pas pu faire médecine car elle a grandi en Afrique et à cette époque, les femmes étaient peu médecin».

Malgré la forte représentation de filles parmi les élèves de sa formation, elle ressent un certain sexime: «J'étais jeune, femme, afro-descendante, et j'avais l'impression que l'on ne me prenait pas au sérieux. Je voulais m'effacer physiquement pour pouvoir être entendue». 

Des lois insuflent un changement dans cette décennie. Tout d'abord, l'avortement est décriminalisé en 2002. L’IVG est possible jusqu’à douze semaines. En 2004, le congé maternité de quatorze semaines est introduit après des décennies de lutte et votations sans succès. 

Eva Niyibizi estime être chanceuse de pouvoir construire un couple égalitaire: «Je me sens privilégiée, et heureuse de vivre dans ce siècle là, même s'il reste du travail sur certains points pour les femmes». Pour elle, il faut aussi arrêter avec le mythe de la wonder woman.

2011-2020 Ellen Batelaan, animatrice

À sa vingtaine, Ellen Batelaan est déjà un visage bien connu. Elle vient de terminer première Dauphine du concours Miss Suisse romande. Ses parents la soutiennent, même si sa maman émet quelques réserves sur une participation à un concours de beauté: «Souvent les gens voient ça comme seulement superficiel mais c'est bien plus». Elle est repérée ensuite alors qu'elle présente des défilés de mode. Elle commence à la télévision, puis participe à une émission de télé-réalité, avant de présenter Tellement Vrai, sur la chaine NRJ12 en France. 

Parallèlement dans cette décennie, le droit continue d’avancer, avec en 2013, un nouveau droit du nom de famille. Lors du mariage, les conjoints peuvent choisir de garder leur nom ou en choisir un commun. En 2018, la loi sur l’égalité est modifiée. Les entreprises de plus de cent personnes devront contrôler les salaires pour une égalité. Récemment, en septembre 2020, le congé paternité de deux semaines est accepté à 60% par la population suisse. 

Mais ce sont surtout des faits de société dont on parle dans cette décennie. En 2017, le #MeToo est lancé aux Etats-Unis pour dénoncer l’impunité du viol et du harcèlement, et plus largement, le sexisme ordinaire. Ellen Batelaan voit ces dénonciations comme salvatrices. Mais à titre personnel, elle préfère être discrète: «C'est difficile des fois de passer à l'action. D'autant plus lorsque l'on est un personnage public.»

Le 14 juin 2019, 28 ans après la première grève des femmes, une deuxième est organisée. La vague violette inonde la Suisse.