Genève

Fonctionnaires: licenciement simplifié ou limogeage sans détour?

23.08.2022 18h23 Julie Zaugg

Hôtel de Ville

Genève s’éloigne un peu plus de l’image du fonctionnaire protégé par son statut. C’est le constat d’une enquête menée conjointement par le journal Le Temps et Léman Bleu. Face au nouveau projet de loi du Conseil d’Etat, présenté la semaine dernière, de nombreuses voix s’élèvent pour alerter le département. Entre licenciement plus simple et limogage sans détour, la frontière semble désormais floue.

Réajuster la Loi relative au Personnel de l’Administration Cantonale (LPAC), telle était la volonté commune du gouvernement et de l’Union des Cadres de l’Administration (UCA). Mais malgré de longs mois de discussions, force est de constater que le Département a avancé sans prendre en compte les réserves de l’association professionnelle.

Pour le président Jacques Folly, c’est l’incompréhension, il «manque une brique» explique-t-il: «Il manque cette possibilité, avant de passer d'un avertissement à un licenciement immédiat, de pouvoir mettre en place des élèments et avoir des outils managériaux pour travailler autrement, permettre au collaborateur de pouvoir peut-être utiliser ses compétences dans un cadre différent, etc... Tout cela ne nous semble pas cohérent», regrette-t-il. 

Moins d’enquêtes administratives, la possibilité de suspendre provisoirement n’importe quel fonctionnaire ainsi que son salaire. Certains articles du projet de loi interpellent. Depuis son adoption par le conseil d’Etat, on s’inquiète d’une manière de «faciliter le licenciement». 

La volonté d'être plus agile

Un point nuancé par Nathalie Fontanet: «Aujourd'hui la résiliation des rapports de service se fera pour de justes motifs ou dans le cadre d'une suppression de poste», justifiait la magistrate sur notre antenne la semaine passée. À la clef, éviter des procédures coûteuses et surtout avoir une plus grande agilité. Mais pour Véronique Bigio Gisiger la cible est manquée. 

«Ce n'est pas sur le licenciement que l'agilité doit se concentrer, cela doit être un état d'esprit global de l'État: c'est tout le cadre normatif très contraignant de l'État qui doit changer», détaille la vice-présidente de l'UCA. 

Dans les faits, les licenciements sont rares. Depuis 2018, on en recense 162, soit environ 40 par année, sur un total de 18'000 fonctionnaires au sein du petit Etat.

Coût humain et mauvaise image

Mais l’État traite-t-il bien ses employés, notamment ses hauts cadres, souvent fusibles lors de dysfonctionnements? Peut mieux faire, d’après l’association professionnelle. «Car il peut il y avoir du mobbing, donc la personne est poussée dans ses derniers retranchements. Ou alors des cas où les procédures durent beaucoup trop longtemps, où il n'y a pas de conciliations, de discussions ni d'outils pour que la personne puisse soit s'améliorer soit trouver autre chose au sein de l'administration» constate Jacques Folly. 

Un très haute cadre non-germanophone à un poste où l’allemand est nécessaire; un autre où aucun matériel de travail ne lui est fourni à part une table. Nous avons eu écho de plusieurs cas de mises en difficultés de collaborateurs. Des affaires dommageables pour l’attractivité de l’Etat. Interrogée son attractivité actuelle en tant qu'employeur, Véronique Bigio Gisiger constate que les conditions ne sont sûrement pas propices pour attirer les jeunes talents.

Fini, le fonctionnaire protégé par son statut?

Avec cette révision de la LPAC, le système se rapproche désormais bien plus du fonctionnement du secteur privé. Avec ici le risque de bafouer la protection des fonctionnaires, ou limoger sous des motifs parfois politiques, estime Me Christian Dandrès. 

«Ce qui m'inquiète, c'est la volonté générale à la lecture de ce projet qui aparait: celle de jeter un voile sur ce qui se passe dans les adminsitrations, pour épargner au maximum les magistrats et permettre aux hiérarchies d'opérer comme elles le souhaitent. Or toutes les hiérarchies ne fonctionnent pas comme il faut!» pointe le spécialiste du droit de la fonction publique. 

Reste au Grand Conseil de statuer sur ce projet de loi. L’Union des Cadres de l'Administration sera prochainement auditionnée pour apporter à nouveau ses propositions à l’ensemble des députés.