Genève

Mancy: un rapport sévère pointe une gabegie généralisée à tous les niveaux du DIP

14.03.2023 06h00 Rédaction

LES ÉMÉTHODES D'OLIVIER JORNOT ÉDITION SPÉCIALE MARDI DÈS 9H55 - 7

Très attendu, le rapport de la sous-commission Mancy rend des conclusions sans concession. Il n’épargne personne et jette un constat alarmant sur la désorganisation, les erreurs et les lacunes à tous les étages du Département de l’instruction publique, présidé depuis dix ans par Anne Emery-Torracinta. Dix recommandations sont formulées.

Le travail de ses auteurs, Cyril Aellen (PLR), Jennifer Conti (PS) et Thierry Cerutti (MCG) a été accepté à l'unanimité des partis. Voici les grandes lignes du rapport, dont l'intégralité peut être téléchargée ici

1. Un foyer qui n’aurait jamais dû ouvrir

Absence de coordination entre les différents départements, absence de projet institutionnel en raison d’une divergence de vue entre la magistrate et l’ancien directeur de l’Office médico-pédagogique (OMP), absence de surveillance, le rapport va même jusqu’à dire que les conditions minimales pour l’ouverture du foyer de Mancy n’étaient pas réalisées.

«Il ne fait aucun doute que l’ouverture du foyer de Mancy n’aurait pas été autorisée par le service d’autorisation des lieux de placements si elle avait été sollicitée par une structure privée d’éducation spécialisée»

2. Des réformes bloquées

Alors que des audits et des analyses pointent régulièrement et depuis 2014 des carences, des manquements et des risques, notamment liés à la sécurité, quant à l’organisation de l’OMP et de ses structures, le département ne parvient pas à mettre en œuvre les réformes adéquates.

3. Une politique du handicap inexistante

À ce jour à Genève, il n’existe pas de vision claire quant à la prise en charge de l’autisme dès la naissance. Les indicateurs fournis par le Service de la recherche en éducation (SRED) sont imprécis et déconnectés du terrain. Partant, la précipitation dans laquelle le foyer s’est ouvert est la conséquence d’une mauvaise anticipation.

4. Un département dysfonctionnel

Le secrétariat général du DIP et la conseillère d’État sont critiqués pour leur gouvernance, leur management et leur communication. Le rapport pointe l’absence de confiance en la hiérarchie qui conduit à ce que les problèmes rencontrés ne soient pas, ou de façon édulcorée, transmis plus haut.

«Anne Emery-Torracinta aurait des difficultés à considérer qu’il puisse y avoir quelqu’un dont la charge soit aussi de questionner librement sa vision»

Il est aussi question de loi du silence, de micro-management et de manque de soutien auprès des équipes. Depuis l’arrivée de la conseillère d’État en 2013, les directions générales ont perdu en autonomie au profit d’une stratégie de centralisation.

«Face à la moindre crise, la peur l’emporte sur la bonne gestion. Les impératifs de communication priment sur la résolution du problème initial.»

Plus largement, les députés dénoncent une «maltraitance institutionnelle». «Pour les parents, imaginer qu’aucun cadre éducatif sérieux, aucune vision stratégique ni programme, n’ont été prévus pour leur enfant est légitimement insupportable.»

«Pour certains enfants, le placement au foyer de Mancy a contribué à la dégradation de leur état de santé et, parfois, à leur hospitalisation.»

5. Une gestion des ressources humaines carentielle

Dans le rapport, il apparaît que l’équipe engagée pour l’ouverture du foyer est constituée de cinq personnes en provenance d’un autre foyer, déplacées à Mancy précisément parce qu’elles posent problème. Par ailleurs, un manque de formation, et le recours massif à des auxiliaires et des remplaçants en lieu et place de personnel fixe ne permettent pas un fonctionnement professionnel du foyer.

À cela s’ajoute un turn-over important des différents cadres, tant au niveau de l’OMP qu’au sein du foyer de Mancy. À la lecture du rapport, les directions successives ne semblent pas en capacité de mener à bien les missions qui leur sont confiées. L’absence de formation continue est un problème. Une forme de déresponsabilisation à tous les étages frappe.

6. La pagaille des alertes

Lorsque les maltraitances sont révélées, d’abord au niveau de la direction du foyer, l’information tarde à parvenir à la tête de l’OMP. Elle-même semble ensuite tarder à informer le département. En parallèle, des témoignages sont recueillis par la direction de l’OMP sans l’aval du département. Puis, alors que l’OMP finit par fournir une note qui précise les maltraitances commises et leurs auteurs, le département ne conduit pas toutes les procédures nécessaires, pour des raisons inconnues.

Il apparaît aussi que des collaborateurs ont quitté le foyer avant le lancement de ces procédures, de sorte qu’ils y ont échappé. À l’image de cet infirmier toujours en poste au DIP sans qu’aucun suivi RH n’ait été fait. Imbroglio total et général.

7. Des syndicats anarchiques

Le rapport critique l’interventionnisme sans limite des syndicats auprès de la conseillère d’État dans des domaines qui ne relèvent pas de leur compétence. Ils ont par exemple retardé et compliqué la bonne gestion des horaires des collaborateurs du foyer.

Ces derniers inventaient des heures supplémentaires pour bénéficier de vacances plus importantes. Il est aussi fait mention d’un auxiliaire dont le salaire s’est monté à 160’000 francs en 2021 en raison d’heures notées à double.

8. Laurence Farge restituée

Principal fusible de cette affaire, Laurence Farge, directrice de Mancy entre 2019 et 2020, apparaît comme celle ayant permis de faire remonter à la direction de l’OMP les problèmes rencontrés par le foyer. Il est écrit qu’elle s’est heurtée à une grande résistance au changement de la part d’un noyau dur en s’attaquant à des problèmes délicats qui dérangeaient, comme certaines pratiques maltraitantes. Peu soutenue, elle est remerciée par le DIP en raison de son management, juste avant que la presse ne s’empare de l’affaire.

9. Premier directeur muet

Au chapitre des observations, il convient de noter que le premier directeur du foyer, sous la direction duquel un certain nombre d'événements graves se sont produits, a refusé de répondre aux questions de la commission. Une attitude «contraire à l'intérêt général du canton», condamne dans son rapport Cyril Aellen.