Genève

Affaire des embauches: le rapport interne confirme tout

10.05.2024 10h02 Jérémy Seydoux

SCHWEIZ SCHULE FEIER SCHULJAHRESENDE

Léman Bleu a consulté en primeur le très attendu rapport interne chargé de faire la lumière sur l’affaire des embauches en ville. Il confirme les soupçons de favoritisme et pointe des irrégularités dans les processus de recrutement, mais contourne la question des responsabilités politiques. 

Le scandale a eu raison de Frédérique Perler, qui ne se représentera pas pour un second mandat à la Mairie, mais beaucoup attendaient les conclusions du rapport rédigé par Maxime Chrétien, directeur du Contrôle financier interne (CFI) de la Ville, chargé de tirer au clair cette affaire. Pour le grand public, rien de nouveau, si ce n’est la confirmation de l’ensemble des informations révélées par Léman Bleu.

Traitement de faveur pour la demi-sœur

En 2022, le service de l’urbanisme du DACM souhaite engager une personne comme auxiliaire de communication. Ce poste n’est pas formellement ouvert aux candidatures, dit le rapport, et seul le dossier de la demi-sœur de la codirectrice sera considéré.

Dans un courriel adressé à sa cheffe de service, la codirectrice du département soumet elle-même le CV de sa demi-sœur et invite à «la contacter pour un entretien», précisant que cette dernière est au chômage et disponible. 

Une fois cette collaboratrice engagée sans concurrence, la codirectrice accorde en personne une annuité salariale supplémentaire pour sa proche, montre encore un e-mail. Le lien de famille ne sera découvert à l’interne que deux ans plus tard. 

Ces éléments constituent une série de manquements contraires aux directives en vigueur, tranche le rapport: «En raison de ces liens familiaux, il existe clairement une situation de conflit d’intérêts réel. La codirectrice a favorisé une personne sans annoncer le lien qui les unissait et ne s’est pas récusée dans le processus de recrutement.»  

À la lecture du dossier, on découvre aussi que la postulante est l’associée gérante de la ferme familiale de Genolier, lieu qui servira de boîte aux lettres pour plusieurs protagonistes de l’affaire. 

Boîtes aux lettres fictives chez le beau-père 

En 2023, un poste s’ouvre au service de l’urbanisme, mais les candidatures reçues ne sont pas convaincantes. La codirectrice informe alors une connaissance habitant à Paris de cette opportunité à Genève. Cette dernière envoie son dossier, mais annonce une fausse adresse pour répondre aux critères de domiciliation: une boîte aux lettres fictive chez le beau-père de la codirectrice, cette fameuse ferme à Genolier. 

En revanche, rien n’indique dans le rapport que la codirectrice serait intervenue personnellement dans le processus de recrutement. Et malgré la tromperie sur le domicile, la candidate retenue correspondait au profil recherché.

Comme le révélait Léman Bleu et contrairement aux affirmations de Frédérique Perler à 20 Minutes, le rapport indique que la codirectrice du département a elle aussi utilisé l’adresse de son beau-père en 2020 pour respecter les critères de recrutement. Engagée via Yverdon-les-Bains en 2019, la codirectrice avait 6 mois pour déménager à proximité de son nouvel emploi en Ville de Genève. Elle ne le fera qu’un an et demi plus tard, hors délais, annonçant la ferme familiale de Genolier comme domicile durant une année, avant d’obtenir une dérogation pour pouvoir se réinstaller officiellement à Yverdon-les-Bains.

Ferme Genolier La ferme familiale de Genolier, un lieu de domiciliation couru au sein du DACM. (Capture: Léman Bleu)

Candidate compétente écartée au profit d’un Parisien

Le cas du Parisien engagé comme comptable pose également plusieurs problèmes, selon l’enquête du CFI. L’homme et sa compagne, l’urbaniste engagée quelques mois plus tôt au département, ont rencontré la codirectrice lors d’une fête et entretenaient un lien. «Ils se tutoyaient lors de l'entretien d'embauche», indique le rapport. 

Lors de l’ouverture des postulations, la codirectrice aurait informé le Parisien de l’opportunité, puis annoncé à la responsable RH de son département que cette connaissance allait postuler. «Cette situation aurait pu conduire à influencer la présélection des dossiers», souligne l’enquête interne. 

Au terme du processus de sélection, deux finalistes, dont une candidate basée à Genève, ont passé une évaluation pilotée par la directrice des ressources humaines de l’administration. Cette dernière affirme avoir marqué sa préférence pour la candidate. Le Parisien présentait des points de vigilance concernant son anxiété, son autonomie et sa rigueur. 

Mais, dit le rapport, la codirectrice aurait déclaré que si le candidat parisien ne faisait pas consensus, tout le processus serait à recommencer, excluant de facto la candidate. Conclusion du CFI: «Une autre candidate aurait pu être considérée, et avait même la préférence de la majorité des personnes impliquées dans le recrutement». 

Conflits d’intérêts relevés

De façon générale, le rapport souligne qu’un conflit d’intérêts réel existe s’agissant de la demi-sœur, et que l’apparence d’un conflit d’intérêts doit être retenu pour le couple parisien. Le Conseil administratif a suspendu la codirectrice et ouvert une procédure administrative en vue de son licenciement. L’exécutif a également mis fin à sa collaboration avec les trois employés concernés.

Depuis l’éclatement de l’affaire dans les médias, la conseillère administrative verte Frédérique Perler nie toute faute personnelle, considère qu’il s’agit de cas RH internes et charge sa codirectrice qui lui aurait tout caché.

Mais des zones d’ombres subsistent. Le rapport, commandé par le Conseil administratif, est braqué sur la codirectrice et ne cherche pas à questionner la responsabilité de Frédérique Perler, magistrate de tutelle du DACM. Il ne dit pas non plus ce qui était connu de la ville en 2022. Cette année-là, la Cour des Comptes avait mené des investigations sommaires sur la base d’une alerte citoyenne et n’y avait rien vu à redire, comme a pu le relever la Tribune de Genève.

SCHWEIZ GENF KLIMASTRATEGIE Alerté fin janvier, le Conseil administratif de la ville a pris connaissance des premiers éléments le 14 mars et s'est vu remettre le rapport du CFI le 25 avril. (KEYSTONE/Martial Trezzini)

Frédérique Perler se contredit 

Jusqu’à début avril, Frédérique Perler a soutenu sa codirectrice et lui a réitéré sa totale confiance dans un courriel interne daté du 28 mars, affirmant que toutes les procédures avaient été strictement respectées et que les personnes engagées étaient les plus compétentes. 

Problème, au moment de cette confiance renouvelée, la plupart des éléments sont déjà en main de l’exécutif qui regrette des «manques de transparence dans les processus de recrutement» et prend des premières mesures. Ces décisions sont consécutives à plusieurs constats communiqués dès le 14 mars par le CFI. Paradoxalement, c’est sur la base des mêmes éléments que Frédérique Perler indiquera le 9 avril à 20 Minutes que la confiance est rompue avec sa codirectrice, une fois l’affaire sortie dans la presse. 

Dans cette interview, Frédérique Perler reprend d’ailleurs les déclarations de sa codirectrice, à savoir que le candidat parisien a séduit le comité de sélection à l’unanimité. Elle affirme aussi que les RH de la ville n’émettent pas de préavis. L’enquête interne dit le contraire. le rapport montre non seulement que des points de vigilance négatifs ont été adressés au sujet du candidat parisien mais aussi qu’une majorité du comité de sélection avait marqué sa préférence pour une candidate basée à Genève.

Attaques d’Antonio Hodgers

Récemment, l’affaire a pris une drôle de tournure cantonale. Antonio Hodgers, président vert du gouvernement genevois, s’est permis d’affirmer sur son blog: «la presse a désinformé son public». Commentant le cas du candidat parisien favorisé au détriment d’une candidate compétente basée à Genève, il a cru savoir que «certains journalistes» ne s’embarrassaient pas d’«inventer» des faits «pour en faire une polémique». Tout indique qu’il s’est trompé.