Le compagnon de Fabienne Fischer se mêlait des affaires du département
Des courriels révélés en marge de l’affaire Fischer lèvent le voile sur une autre dérive dans le scandale qui touche l’ex-élue verte. Léman Bleu a constaté l’ingérence du compagnon de la magistrate, l’ancien député Jean Rossiaud, dans les affaires du département. Partie prenante des échanges, il donnait même des instructions aux fonctionnaires.
C’est en relisant attentivement les près de 300 pages de courriels et d’agendas dévoilés mais abondamment caviardés, que certains documents ont alerté la rédaction de Léman Bleu. Un mystérieux «expéditeur externe à l’État» apparaît à plusieurs reprises dans les échanges entre les fonctionnaires, la conseillère d’État et ses co-cheffes de cabinet. Selon nos informations, il s’agit du chef de la campagne de Fabienne Fischer, son compagnon Jean Rossiaud.
Confronté à ces révélations, il nous écrit: «une plainte pénale ayant été déposée, il ne m’est pas possible de répondre. Je réserve tous mes droits en cas de propos attentatoires à mon honneur.»
Participation aux réunions du département
Que montrent ces courriels? Au fil des pages, on constate plusieurs sollicitations, des demandes de renseignements, adressées dans les boîtes e-mails de L’État, en lien avec la campagne. Le Vert participe à la rédaction d’une ligne de conduite communicationnelle à adopter au sein du département, indique quels messages clés faire passer, donne des inspirations pour «des petites phrases».
Passage éloquent: «L’idée est que ce matériau (éléments de langage) serve de base pour les post sur les réseaux sociaux et pour la mise en valeur de la politique sur le site Internet. […] Cela permettra d’articuler encore plus finement (mais nous sommes déjà dans la dentelle ;-), la communication institutionnelle et la communication politique, sans mélange de genre.»
On comprend aussi qu’il participe à des séances internes en lien avec les élections: «À demain pour notre réunion», écrit-il à l’adresse des collaborateurs de l’État un dimanche après-midi. Les agendas montrent en effet l’existence d’une réunion «Bilatérale Communication» chaque lundi matin dans le bureau de la magistrate.
Instructions données aux fonctionnaires
Il donne aussi des ordres sur des photos à poster en ligne, des textes à rédiger, des publications à envoyer sur tel réseau social: «Ce webinaire… c’est demain… Un LinkedIn ?». La veille du premier tour, un samedi soir, il s’adresse par mail aux fonctionnaires: «Je pense qu’on devrait peut-être communiquer aujourd’hui sur les réseaux sociaux et même sur LinkedIn et Twitter, puisque c’était en représentation officielle du Conseil d’État».
Il intervient même personnellement sur la communication institutionnelle du département, il corrige et pose ses remarques sur les documents d’une conférence de presse en lien avec une politique publique, le projet Diagnostic-action: «Félicitations pour ce superbe boulot !! Nous allons pouvoir déployer nos arguments […] MERCI!», envoie-t-il notamment à un porte-parole du département. Il poursuit «J’ai apporté quelques commentaires […]».
La discussion porte sur un document permettant de rebondir aux éventuelles «nasty questions» (ndlr: questions "méchantes" de la presse) pendant la présentation aux médias du projet. Le nom du fichier est modifié avec les initiales «JR», révèlent les courriels.
Mélange des genres
Ces échanges nourris illustrent un drôle de mélange des genres chez Jean Rossiaud. À la fois chef de campagne et compagnon de la magistrate, il ne se contente pas d’un rôle de conseiller de l’ombre. Il bat en réalité la mesure de l’équipe départementale en dehors de tout cadre officiel. Et les fonctionnaires obéissent à ses instructions.
Le parti des Verts était-il au courant de ces pratiques? Nous avons sollicité le chef de campagne des écologistes pour les dernières élections cantonales, Matthias Erhardt. Pour lui, les limites ont toujours été claires: «Je n'aurais jamais en tant que responsable de campagne donné des consignes de communication aux collaborateurs du département».
«Cette situation pose plusieurs questions»
Me Romain Jordan, spécialiste en droit administratif et avocat de Daniel Sormanni qui a permis la révélation de l’affaire Fischer, considère ce cas comme hautement problématique: «Sur le plan du droit administratif comme du droit pénal, cette situation pose plusieurs questions. Pourquoi et sur quelle base semble-t-il donner des instructions à des fonctionnaires du département, exerçant sur eux une sorte de pouvoir hiérarchique? Cela interpelle d’autant plus que ces instructions s’inscrivent dans le contexte privé de la campagne électorale de la conseillère d’État qui est sa compagne. Problème potentiel supplémentaire: sans être assermenté ni soumis au secret de fonction, il a pu avoir accès à des informations confidentielles et influencer certaines prises de décisions.»
Selon l’avocat, le dossier concerne aussi le gouvernement: «Le Conseil d’Etat en a-t-il été informé et si oui a-t-il validé cette situation?». L’affaire fait d'ores et déjà l’objet d’une instruction pénale en mains du procureur général Olivier Jornot.