Les conditions genevoises de détention «à la limite de la dignité humaine»
En ce début d’année, deux rapports épinglent Genève pour ses pratiques policières, ses conditions de détentions ou encore sa surpopulation carcérale. Voilà de nombreuses années que le cas de la prison de Champ-Dollon préoccupe particulièrement. Deux avocates pénalistes témoignent de l’urgence de la situation.
Des violences policières comme «pratique persistante», une prise en charge problématique des personnes interpellées et des conditions de détention inappropriées, d’après le Comité européen pour la prévention de la torture et la Commission des visiteurs de prison du Grand Conseil. Le constat est sévère pour le canton. Un constat partagé par Me Yaël Hayat.
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«Ce qui est contenu dans ces deux rapports est pour moi très alarmant. Cela se décline autour de la dignité des détenus. On sait que l’état d’une société se mesure à l’état de ses prisons et là, ce que l’on peut se dire, c’est que la société est souffrante», alerte l'avocate.
Avant la case prison, d’autres problématiques peuvent être rencontrées. Me Luana Roberto le voit au quotidien: elles peuvent apparaitre dès lors qu’une personne est interpellée et amenée dans un poste. «Moi, ce qui me choque le plus ce sont les manquements dans la prise en charge médicale. Il y a des personnes blessées ou malades, des diabétiques, par exemple, qui demandent à voir un médecin ou avoir leur traitement mais cela n’est pas fait, on appelle le médecin plus tard, voire seulement si le Ministère public intervient. C’est malheureux. C’est pour cela que, peu souvent mais tout de même, il y a des décès, notamment dans les violons», explique l’avocate.
«L’état d’une société se mesure à l’état de ses prisons et là, ce que l’on peut se dire, c’est que la société est souffrante»
Une prise en charge inadéquate que l’avocate estime liée à un manque de formation et qui ravive le souvenir des deux personnes décédées dans les violons du Vieil Hôtel de Police, l’année passée. «Pour moi, c’est le pendant de la force publique: on a le pouvoir de sanctionner, de poursuivre mais pour moi c’est aussi une position de garant, protéger, respecter l’intégrité physique et psychique des gens. Il y a un minimum de dignité humaine», expose Me Luana Roberto.
Le respect de la dignité humaine. Cela fait écho au point phare des deux rapports présentés: la surpopulation carcérale, avec l’établissement de Champ-Dollon dans le viseur.
Si le taux d’occupation a bien baissé ces dix dernières années, passant de 240% en 2014 à 130% environ en 2024, les efforts en la matière doivent être poursuivis. Le rapport de la commission du Grand Conseil recommande d’ailleurs la fin des peines privatives de liberté de substitution à Champ-Dollon afin de désengorger la prison, mais pas que… le document de 67 pages demande aussi:
- L'amélioration du processus de prises de rendez-vous et visites à Champ-Dollon
- Un vestiaire social dans les établissements de détention
- Un meilleur suivi social des détenus
- Une meilleure prévention du suicide en détention
Appel au changement
En 2022, un rapport du Conseil de l’Europe établissait que le taux de suicide dans les prisons est quatre fois plus élevé en Suisse que dans l’Union européenne. Pour Me Luana Roberto, les choses doivent changer: «Il faut un électrochoc. Je ne sais pas d’où il viendra, dans la mesure où les rapports s’accumulent et les recommandations restent les mêmes… et que ça bouge assez peu. On attend une prise de conscience, car on entend beaucoup trop que "les prisons suisses sont des hôtels cinq étoiles", je peux vous assurer que ça n’est pas le cas», martèle la pénaliste.
Pour Me Yaël Hayat, il s’agit d’en finir avec une politique que l’on pourrait résumer à «on enferme d’abord, et on juge après». L'avocate attend des actions concrètes de la part de la conseillère d’État en charge de la sécurité.
«Mme Kast a le pouvoir de restituer leur dignité à ces personnes. Je suis sûre qu’elle est consciente de cela; je l’invite peut-être, si ce n’est pas déjà fait, à se rendre à Champ-Dollon, à se rendre dans cet univers car c’est ainsi que l'on prend la mesure de cet état, de ce délabrement, ces dégradations, de l’état de santé, de ce que disent ces personnes…», suggère Me Hayat.
Parmi les demandes les plus récurrentes: obtenir plus d’une heure de promenade par jour, rétablir les repas en commun ou encore réparer des stores cassés depuis plusieurs années. Pour le moment, les réponses institutionnelles n’ont pas donné satisfaction.