Genève

Vote communautaire: les dessous d'un phénomène en expansion

02.04.2025 10h15 Laure Lugon Zugravu

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Pendant longtemps, les patronymes d’origine étrangère étaient plus largement biffés que les autres. Le vent est peut-être en train de tourner. Aux élections municipales, certaines communautés ont réussi à mobiliser. Au point qu’à Vernier et à Meyrin, des anomalies statistiques ont créé le doute sur les listes LJS. Ce phénomène inquiète la classe politique, même au sein des partis qui connaissent ce vote communautaire.

«Exerce ton droit d’avoir le plus d’Albanais possible au conseil municipal», enjoint un post de la communauté sur un réseau social. Des appels comme celui-ci, on en trouve d’autres sur la Toile. Cet habitant de Vernier écrit: «Cette année j’ai deux candidats à la mairie, une du parti socialiste à Meyrin et l’autre MCG en Ville. J’ai aussi 12 candidats issus de cinq partis politiques différents.» Contacté, il n’a pas voulu s’exprimer, assurant avoir reçu un avertissement de son employeur. Après notre appel, il a modifié son profil Facebook.

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Ces méthodes n’ont rien d’illégal. Si elles interpellent, c’est pour des raisons politiques. Faut-il encourager l’électorat à valoriser l’origine des prétendants plus que leurs programmes? A Meyrin et à Vernier, des candidats LJS ont été sacrifiés à l’avantage de candidats d’autres partis, souvent d’origine balkanique.

C’est ce qui est arrivé à Adam Mamdouh, davantage biffé que voté: «C'était remarquable comme biffage. Et pour aucune raison apparente. Si c'était communautaire, je me considère aussi un petit peu comme eux, je ne suis pas judéo-chrétien blanc, suisse de souche mais j'ai grandi ici, je me considère Genevois. Après, il y a des gens qui font des différences parce que j'ai ma tête. Mais peu importe le cas, je me considère un des leurs, que ce soit cette communauté ou que ce soit les Verniolans.» Il accuse le coup, n’ayant pas vu venir cette sanction. Ce d’autant plus que durant la campagne, «le travail s’est fait main dans la main, avec un esprit d’équipe autour de projets assignés à chacun en fonction des compétences respectives.»

L’appartenance culturelle domine parfois au point que des candidats eux-mêmes soutiennent des compatriotes issus de partis concurrents. Ismet Mjaki, élu sur la liste LJS Vernier après avoir tenté sa chance en 2020 pour le PLR, appelait à soutenir le MCG Skender Salihi en Ville. La Ligue démocratique du Kosovo, parti albanais fer de lance de l’indépendance, promouvait le PLR Ilir Kurti, élu au Conseil municipal de la Ville.

Pendant la campagne, certains candidats ont bénéficié de soutiens à travers des vidéos surprenantes, comme  Mehdi Abassi Chraïbi, sur la liste LJS du Conseil municipal en Ville de Genève. Un genre de tutoriel expliquant comment remplir le bulletin en faveur de ce candidat uniquement. Contacté, ce dernier n’a pas souhaité s’exprimer. 

«Il avait été prévu que la plupart des noms à consonnance suisse soient biffés»

Le MCG compte déjà beaucoup d’élus issus de l’immigration, très actifs sur le terrain. Ainsi par exemple, le MCG Grand-Saconnex invitait en février la population à un «Couscous pour tous» sous le slogan «Le Grand-Saconnex d’abord». Des campagnes de proximité qui ont permis de gagner des sièges, mais aussi provoqué des tensions entre l’aile historique du parti anti-frontalier et les nouveaux venus.

À Vernier, Dominique Vuilleumier, battu le 23 mars, a démissionné du MCG le lendemain. Il s’est senti exclu de la dynamique de campagne: «Courant septembre-octobre, une réunion s'est faite dans un restaurant vers le Lignon. C'était la présentation des conseillers municipaux de Vernier à des futurs électeurs. Je me suis rendu compte que tout le monde parlait albanais ou kosovar, ça je ne pourrais pas vous dire, mais en tout cas pas français, et qu'il y avait effectivement une alliance qui était en train de se faire.» Rebelote le 12 janvier, lors d’une spaghetti party. Le candidat sortant raconte sa surprise d’avoir été relégué en fin de liste en compagnie d’autres sortants. Pour lui, aucun doute: «On a su par la rumeur qui court qu’il avait été prévu que la plupart des noms à consonnance suisse soient biffés. Ce qui a été le cas de trois candidats MCG. Donc ça a dû se faire.»

«C'est à la direction du MCG de rappeler certaines règles»

Le conseiller national MCG Roger Golay est de ceux qui s’inquiètent de l’influence communautariste dans le parti: «Il est évident qu'au sein du MCG nous avons une forte communauté de personnes qui viennent de la communauté des Balkans. Je pense que c'est à la direction du MCG de rappeler certaines règles. Pour stopper le vote communautaire si ça se fait, pour que ces gens votent aussi d'autres candidats que les leurs. Je pense que c'est une erreur de laisser passer cela.»

Contrairement au MCG et à LJS, d’autres partis se sont montrés circonspects quant aux appels du pied des communautés. Pierre Nicollier, président du PLR genevois: «C'est vrai que pour ces élections, on a aussi eu un groupe qui est venu nous contacter en nous disant «Nous, on pèse un certain nombre de voix. Est-ce qu'on peut travailler ensemble?» Et je pense que là, on a un problème. Parce que ça signifie qu'il y a des groupes qui essayent d'influencer le pouvoir politique pour un intérêt très propre. Vraiment, c'est une prise d'influence plus que juste un lobbying comme on pourrait le trouver ailleurs.»

«C'est une forme d'égalité ou d'égalisation par la porte arrière»

Professeur assistant à l’université de Lausanne, spécialiste de la démocratie directe et du fédéralisme, Sean Müller y voit plutôt une force qu’un danger: «À condition que tout soit régulier, qu'il n'y ait pas eu de tricherie ou de manipulation des bulletins, on pourrait même dire qu’on a enfin cette inclusion des couches de la société qui sont très sous-représentées parce qu'elles participent moins aux élections en termes de candidats. On pourrait donc dire que c'est une forme d'égalité ou d'égalisation par la porte arrière.» Les chiffres lui donnent raison. Selon la Chancellerie, le nombre d’électeurs étrangers est en augmentation par rapport aux municipales de 2020. A Vernier, cela représente 424 votants étrangers de plus, à Meyrin 309 et en Ville 1210. Le nombre d’électeurs suisses, lui, a stagné, voire régressé.

Le politologue poursuit: «Le seul risque que je peux identifier c'est que cet élément ethnique ou d'origine nationalité s'imposent et deviennent dominants, qu'on oublie de discuter des idées et qu'on commence à discuter des caractéristiques personnelles. Mais je ne pense pas que le niveau local est le plus apte à ce genre de politique, parce qu'il faut quand même résoudre des problèmes très concrets. Et là, je vois difficile comment un trottoir peut avoir une ethnicité ou une nationalité bien distincte.»

D’autres communautés ont aussi joué sur le registre culturel. Comme les afrodescendants, soucieux d’une meilleure représentation politique et dont l’association faîtière a mis en valeur les candidats lors d’un événement organisé en février.

L’affirmation des origines semble gagner du terrain sur les obédiences partisanes.