Genève

À Genève, la vaste gabegie des mandats externes de l’État

16.12.2024 18h30 Rédaction

SCHWEIZ GENF BUDGET 2025-2028

La Cour des comptes épingle sévèrement le Conseil d'Etat dans la gestion de ses mandats externes. Elle relève de «nombreuses irrégularités»: cadre légal violé, argent mal dépensé, besoins non identifiés, subventions déguisées, risques de corruption. Tout est à revoir, mais le gouvernement refuse la plupart des recommandations, déplore la Cour. 

Résumé:

  • La Cour des comptes a analysé la conformité des mandats externes accordés par le canton en 2023. Ces derniers se montent à environ 200 millions de francs. 
  • Il ressort de l'enquête de la Cour de «nombreuses irrégularités»: externalisations sans examen des besoins, subventions déguisées, adjudications sans mise en concurrence, non respect de la loi et des directives existantes, risques de corruption ou de conflits d'intérêts, factures payées sans contrat, documents dispersés ou perdus, notamment. 
  • La Cour a émis dix recommandations, quasi toutes refusées par le gouvernement, notamment celle portant sur la prévention des conflits d'intérêts et de la corruption.
  • Ce travail d’analyse a été commandé par la commission des finances du Grand Conseil à la suite des révélations de Léman Bleu visant l'ex-conseillère d'Etat Fabienne Fischer, qui avait accordé des mandats à des projets portés par son compagnon, et des interrogations autour de mandats attribués par le département d'Antonio Hodgers.
  • Léman Bleu révélait déjà en septembre dernier les conclusions d’un audit, interne et confidentiel, pointant lui aussi de sérieux problèmes. 

 

Quelques exemples farfelus:

Un indépendant pour représenter l’État dans un Conseil d’administration. Durant 6 ans, un indépendant a été rétribué à hauteur de 120’000 francs par an, en sus des jetons de présence, par le contribuable. L’État n’était pas en mesure de justifier cette externalisation, alors que cette fonction était auparavant occupée par un haut-cadre de l’État sur son temps de travail. Par la suite, un nouveau contrat avec un nouveau mandataire a été conclu pour un montant de 64’000 francs annuels, sans justifier pourquoi l’État ne disposait pas en interne des compétences requises.

Un appel d’offres pour gérer un appel d’offres. L’État a effectué un appel d’offres public en vue de trouver un mandataire capable de réaliser un futur appel d’offres. Aucune analyse des besoins n’a été fournie par le département concerné, ni même la justification de pourquoi l’État ne disposait pas des ressources pour effectuer lui-même ses appels d’offres, d’autant plus qu’il dispose d’une centrale d’achats compétente pour ce type d’activité. Coût de l’opération: 240’000 francs.

Entre 2022 et 2023, un département a attribué sans appel d’offres trois mandats similaires à deux sociétés dirigées par la même personne en procédant par saucissonnage. Le total se monte à 326’250 francs.

L’État captif d’un fournisseur informatique depuis 1996 pour une application, dont le contrat de 250’000 francs est automatiquement renouvelé chaque année, car le contrat initial n’avait pas prévu que la propriété intellectuelle du logiciel reste à l’État de Genève, qui est pourtant le seul financeur de ce programme. 

Un contrat pour la livraison de repas froids, dépassant les 250’000 francs annuels, accordé à un seul prestataire sans mise en concurrence.

SCHWEIZ GENF RECHNUNGSHOF Francois Paychere, magistrat titulaire de la Cour des comptes. (KEYSTONE/Salvatore Di Nolfi)

Les dix recommandations de la Cour:

1. Face à toutes les irrégularités constatées, renforcer les contrôles. Recommandation refusée sans explication par le Conseil d’État. 

2. Adopter une façon plus transversale d’envisager les achats, et non par silo. Recommandation refusée sans explication par le Conseil d’État. 

3. Renforcer l’analyse des besoins avant d’attribuer des mandats externes. Recommandation acceptée par le Conseil d’État.

4. Clarifier les marchés pour éviter le saucissonage. Recommandation refusée sans explication par le Conseil d’État. 

5. Clarifier la notion de concurrence efficace. Recommandation refusée sans explication par le Conseil d’État. 

6. Mettre fin aux subventions déguisées. Recommandation acceptée par le Conseil d’État. 

7. Renforcer la prévention des conflits d’intérêts et de la corruption. Recommandation refusée sans explication par le Conseil d’État. 

8. & 9. Améliorer la nomenclature des achats pour mieux identifier les marchés. Intégrer cette nomenclature dans l’analyse financière. Recommandations refusées sans explication par le Conseil d’État.

10. Numériser le flux d’achat de bout en bout. Recommandation acceptée par le Conseil d’État sous réserve des moyens à disposition. 

Développements suivront. Le Conseil d’Etat compte répliquer lors d’une conférence de presse en début d’après-midi, dont les reflets seront proposés au journal de 18h30.