Genève

L’État épinglé pour la gestion de ses mandats externes

11.09.2024 18h00 Jérémy Seydoux, Denis Palma

SCHWEIZ RATHAUS GEN Hôtel de Ville de Genève.

L’argent public est mal dépensé par l’administration et le respect de la loi n’est pas garanti, dit un rapport confidentiel commandé dans le sillage de l’affaire Fischer. Le département d’Antonio Hodgers est particulièrement concerné. Révélations. 

Alors que Léman Bleu révèle les affaires Fischer en automne 2023, notamment la question de mandats accordés par l’ex-ministre à des projets portés par son compagnon, une série d’enquêtes sont lancées. Le but? identifier si ces pratiques sont généralisées. 

Un rapport confidentiel, que Léman Bleu et la Tribune de Genève ont pu consulter, confirme en partie ces craintes et pointe des problèmes inhérents à l’ensemble de l’État. Plusieurs recommandations sont dressées. L’enquête, menée par le Service d’audit interne de l’État (SAI), couvre trois grands axes. Le cadre légal est-il respecté? Y a-t-il bonne gestion dans l’octroi des mandats? Ces achats sont-il justifiés et répondent-ils à des objectifs définis? 

L’audit s’est en revanche refusé à sonder l’existence d’éventuels conflits d’intérêts et autres proximités. Par ailleurs, la période analysée court de 2020 à 2023. Elle concerne donc la législature précédente. 

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Des entreprises empochent des millions sans être mises en concurrence 

Dans ce rapport, on apprend que certains mandataires perçoivent jusqu’à plusieurs millions de francs de mandats publics sans passer par une procédure d’appel d’offre, alors que la loi l’impose dès 250’000 francs. 

La raison? Différents offices d’un même département font appel à leurs services de façon disparate et non coordonnée. Une addition de petits montants pour des mandats de même nature, aussi appelée «saucissonnage». 

Cela est particulièrement le cas au département du territoire (13 mandataires concernés) et dans une moindre mesure aux transports (8 cas). Résultat: un bureau d’ingénieurs en mobilité a empoché pour plus de 4 millions de francs de mandats de la part des deux départements sans être mis en concurrence. Trois autres cabinets actifs dans l’urbanisme et la durabilité ont chacun bénéficié de près de 2 millions. Et trois entreprises supplémentaires ont perçu autour du million de francs pour des travaux de même nature. 

Un ex-journaliste a touché 280’000 francs 

Est aussi évoqué le cas d’une entreprise audiovisuelle ayant touché pour 700’000 francs sans être mise en concurrence. Autant de situations que Léman Bleu avait déjà interrogées, de même que le cas d’un ancien journaliste mandaté par le département du territoire à hauteur de 280’000 francs par an pour la modération et la concertation d’une demi-douzaine d’événements. 

Lire encore: Des mandats accordés par le département d'Antonio Hodgers interrogent

À l’époque, les services d’Antonio Hodgers avaient prétendu dans un communiqué que nos informations étaient inexactes et que l’ensemble des mandats octroyés étaient conformes «aux règles préconisées par la réglementation sur les marchés publics». Selon leur analyse, les montants en question consistaient en «l'addition de marchés différents».

Mais aujourd’hui, le SAI leur donne tort et pointe des problèmes observés également dans d’autres départements. Par exemple, une entreprise de sécurité bénéficiant de juteux contrats, en partie sur appel d’offre, en partie sans, pour des montants dépassant largement les seuils. Le Pouvoir judiciaire est aussi concerné par cette critique. Même problème pour une agence de placement temporaire, une société de conseil en management, un prestataire publicitaire ou encore une structure active dans la communication. 

Marge de progression considérable  

Face à tous ces cas problématiques, l’enquête arrive à la conclusion que les conditions ne sont pas réunies pour une gestion efficiente des deniers publics, que la réglementation sur les marchés publics n’est pas parfaitement respectée et que des indicateurs permettant d’évaluer la pertinence et la justification des achats font défaut. 

Pour y remédier, le SAI recommande une meilleure coordination entre les offices et les départements pour identifier des besoins communs. L’une des solutions serait aussi un recours plus accru à la centrale commune d’achats. 

L’État promet des correctifs 

Que répond l’État? Les services d’Antonio Hodgers n’ont pas souhaité réagir, de même que le département des finances de Nathalie Fontanet. Seuls les services de Pierre Maudet annoncent avoir d’ores et déjà pris des mesures: «Le Département ne s’exprime pas sur les pratiques de la précédente législature. Depuis l’arrivée de M. Maudet, le département suit une directive qui consiste à faire valider tout achat ou mandat de plus de 50'000 francs par le conseiller d’Etat.»

Dans l’ensemble, le rapport indique que les départements acceptent les recommandations et promettent de rectifier le tir d’ici deux ans au plus tard, sous l’égide du Collège des secrétaires généraux. Des correctifs bienvenus, dans un contexte où le canton a débloqué un milliard sur dix ans pour rénover ses bâtiments.

L’État alerte toutefois sur le risque de trop regrouper les besoins. Selon l’administration, cela empêcherait certaines entreprises locales d’accéder aux marchés publics. De son côté, le SAI explique que les contrats-cadres s’avèrent des instruments efficaces (et sous-utilisés) pour garantir un accès aux marchés publics, y compris aux acteurs locaux. 

Une deuxième enquête, diligentée cette fois par la Cour des Comptes et dont le contenu sera public, est attendue avant la fin de l’année. 

ACHATS DE L’ÉTAT EN BREF

Chaque année, l’État dépense pour 780 millions de francs en achats et en mandats externes. Cela représente environ 7,5% du budget cantonal.

Les deux tiers des dépenses sont assumées par l’OCSIN (services informatiques), l’OCBA (bâtiments) et l’OCGC (génie civil). Viennent ensuite les transports, l’urbanisme et les équipements de police (véhicules, armes, protection). 

Seuls 10% des achats de l’État passent par la centrale commune d’achat.