L’étrange ascension des tarifs du chauffage à distance
Le chauffage à distance promet d’être ruineux. Au niveau politique mais aussi à l’interne des Services industriels de Genève (SIG), on s’interroge sur les raisons et mécanismes qui ont conduit Genève à afficher des tarifs jusqu’à 25% supérieurs à la moyenne suisse. Si le Conseil d’Etat a validé les tarifs des SIG, le département des Finances a rendu un préavis négatif.
Quand on se penche sur l’historique de cette tarification, il apparaît que les prix fixés pour l’énergie thermique augmentent depuis 2023. Les rapports financiers successifs montrent une curieuse progression du taux WACC, acronyme barbare qui «fixe la rémunération conforme au risque pour le capital investi et pour le risque de perte encouru». De 2019 à 2022, ce taux était stable à 4,5%. En 2023, il monte soudainement à 4,7%. Et lorsqu’il s’est agi, en décembre 2024, de promulguer les tarifs pour cette année, il a passé à 4,95%.
C’est d’autant plus étonnant qu’un élément non négligeable est survenu en 2022: l’acceptation par le peuple du monopole des SIG sur les réseaux thermiques structurants. La logique aurait donc voulu que le taux baisse. Car lorsqu’on passe d’une activité concurrentielle à une position dominante, le risque s’estompe. C’est d’ailleurs sur ce point qu’a tiqué le surveillant des prix.
Des tarifs en hausse malgré le monopole
«J’ai examiné le taux d’intérêt soumis, et j’ai calculé mes propres valeurs, j’arrive à un peu plus de 2,5%, ça fait une grande différence, explique Stefan Meierhans. Je constate que les SIG ont inclu d’autres paramètres pas standards dans le calcul de ce taux d’intérêt tel que décidé par le gouvernement, ce n’est pas nécessaire et je ne le comprends pas. Je vois plutôt une augmentation après que le monopole a été accordé, ce qui est bizarre puisque le risque diminue.»
Lire aussi: Selon Monsieur prix, Genève surfacture le chauffage
Un autre élément explique le différend entre Berne et les SIG: la régie utilise comme valeur de référence le taux des énergies renouvelables, bien supérieurs au taux de l’électricité. «On ne peut pas comparer le secteur électrique au secteur thermique, indique Christian Bernet, porte-parole des SIG. Le premier est mature et moins sensible à des effets externes tels que les effets climatiques ou l’évolution de la demande. D'ailleurs, pour le développement des autres énergies renouvelables, comme l'éolien, la géothermie ou le solaire, soumis à incertitudes, la Confédération préconise des taux égaux, voire supérieurs à 4,95%.»
Stefan Meierhans estime pour sa part que les SIG entretiennent l’équivoque en se basant sur le taux du renouvelable: «C’est une comparaison erronée, d’un côté parce qu’il n’y a pas de risque mais une obligation de se raccorder, et d’un autre côté ce taux d’intérêt est une incitation à investir et ne couvre pas toutes les prestations inclues. Or il faut plutôt prendre comme valeur de référence le taux de l’électricité qui est conçu de la même manière.»
Train de vie des SIG questionné
De là à penser que les SIG auraient gonflé le tarif pour couvrir d’autres choses que le risque – quasi inexistant pour Berne - il n’y a qu’un pas. Adrien Genecand, député PLR membre de la commission de l’énergie et des SIG: «C’est vraisemblablement la seule raison qui fait que le taux est plus élevé. Quand on parle de ces taux de rendement interne, et donc des fonds propres comme des fonds étrangers dans l’entreprise, c’est que probablement le coût des SIG est important et qu’ils sont obligés de le répercuter quelque part. La différence entre le taux de la Confédération et des SIG est probablement à chercher dans leurs coûts de fonctionnement.» Un expert rappelle que «les SIG ayant un mandat de service public, ce n’est pas au consommateur à payer pour la santé financière de l’institution».
Alors que Antonio Hodgers déclarait sur notre antenne que «les SIG seront déficitaires s’ils appliquent les tarifs du surveillant des prix», un spécialiste proche du dossier réfute: «Un tarif inférieur ne plongerait pas les SIG dans le rouge, mais leur ferait gagner moins d’argent.»
Préavis négatif rendu par des experts de l'État
Pourquoi le Conseil d’État a-t-il accepté ce taux sans pousser plus avant l’analyse? Si le département du Territoire est aux manettes, le département des Finances figure aussi dans le comité de pilotage, à titre consultatif. Des experts financiers se sont donc penchés sur les calculs des SIG. Ils ont rendu un préavis négatif, selon nos informations. Quelles ont été les conclusions des experts? Contactée, la ministre Nathalie Fontanet n’a pas souhaité s’exprimer.
En décembre, le Conseil d’État promettait pourtant de suivre les recommandations du régulateur. Christian Dandrès, conseiller national socialiste et avocat de l’Asloca ne comprend pas pourquoi il ne l’a pas fait: «Lorsque l’État a obtenu un monopole, il devait évidemment suivre les recommandations de Monsieur Prix. Ce minimum de régulations, très faibles en Suisse, il faut le respecter. Le Parlement aura la possibilité de faire des enquêtes, de demander des comptes au SIG. Le but du service public, c’est un système moins cher, plus transparent et plus démocratique. Il y a des majorités assez larges qui se dégagent pour questionner le Conseil d’État.»
«Lorsque l’État a obtenu un monopole, il devait évidemment suivre les recommandations de Monsieur Prix.» – Christian Dandrès
Lors de la prochaine session, le Grand Conseil doit se pencher sur une motion PLR réclamant de revoir ces tarifs. Les chances qu’elle passe la rampe sont réelles, puisque la droite n’est pas seule à nourrir des doutes sur cette affaire.
Lire aussi: Surfacturation du chauffage à distance: partis et Asloca exigent une rectification des prix
D’ici 2050, près de 7'000 immeubles devront être raccordés aux réseaux thermiques. Un coût important pour les propriétaires mais aussi pour les locataires qui payeront la facture électrique.