À Genève, l’impôt auto sème la discorde entre juges cantonaux
Le recours déposé par Daniel Sormanni contre la votation du 3 mars 2024 est rejeté, mais - fait rare - un juge a fait valoir une opinion séparée donnant raison à l’élu MCG, révèle Léman Bleu. L’affaire sera portée devant le Tribunal fédéral.
Rebondissement dans la saga politico-judiciaire touchant le nouvel impôt auto. Une majorité de juges de la Chambre constitutionnelle de la Cour de justice a décidé de rejeter le recours de Daniel Sormanni contre la votation populaire ayant avalisé une nouvelle imposition des véhicules, a appris Léman Bleu.
Un magistrat de la Cour se distingue toutefois par un avis divergent considérant que le scrutin aurait dû être annulé.
Depuis novembre dernier, le nouvel impôt auto est au centre d’une controverse liée à des bordereaux exorbitants adressés à de nombreux propriétaires de véhicules, suscitant la stupeur générale. La loi, pensée pour passer d’une taxation des véhicules au poids vers une taxation en fonctions des émissions de CO2, a eu pour effet de faire exploser les factures pour les détenteurs de certains véhicules, parmi lesquels des personnes modestes au volant de vieux véhicules.
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Dans la foulée, le Grand Conseil adoptait dans l’urgence une série de dispositions transitoires pour retarder l’échéance des factures et appliquer des plafonnements ciblés, le temps de réexaminer la loi.
Autant d’éléments ayant motivé Daniel Sormanni à attaquer la validité de la votation du 3 mars 2024 en justice au motif que les électeurs n’avaient pas été correctement informés en amont des effets de la loi, violant ainsi l’intégrité du scrutin.
«Le résultat de la votation n’a pas été faussé»
Dans un arrêt du 24 mars 2025 que Léman Bleu a pu consulter, les juges estiment que «tel n’est pas le cas». Pour la Cour, «la brochure de vote contient le texte complet (…) et indique la base de la taxation». Selon elle, l’électeur a été parfaitement informé que le nouveau système prévoyait un renchérissement pour certains types de véhicules, «notamment les voitures peu puissantes mais très émissives en CO2».
Par ailleurs, les juges estiment que «si la brochure ne fait certes pas mention de l’intensité de cette hausse, l’importance de cet élément doit être relativisé», puisque «l’intensité n’est pas la même pour chacun des détenteurs de véhicules concernés et dépend de chaque situation». Ils poursuivent: «le montant de l’impôt était déterminable avec exactitude, y compris pour les membres du Grand Conseil.»
L’arrêt conclut: «le résultat de la votation n’a pas été faussé et aucune violation de la garantie des droits politiques ne peut être retenue.»
Un juge marque son opposition et plaide pour l’annulation du scrutin
Cette décision de justice fait toutefois apparaître une divergence entre juges. Fait rarissime, l’un d’eux s’est désolidarisé de cette décision et a fait valoir son droit à exprimer une opinion séparée. Selon lui, la votation attaquée n’est «pas conforme au droit supérieur» et aurait dû être annulée.
Son argumentation? «Ce n’est qu’après la votation cantonale que les effets de la loi sont apparus, lors de l’envoi des bordereaux d’impôts». «La portée et les conséquences de la modification législative proposée (…) n’ont pas été appréciées correctement dans le cadre de l’information transmise au corps électoral», dit-il encore.
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Et d’enfoncer le clou: «Le Conseil d’État a laissé entendre que la taxation serait moins lourde en adoptant le nouveau système. En ajoutant que ce dernier renchérirait la taxation pour certains types de véhicules, il a donné l’impression qu’il s’agirait d’une minorité de cas, tout en s’abstenant de fournir (…) des exemples chiffrés en fonction de certaines catégories de véhicules.»
«Informations communiquées par les autorités erronées»
Quant à l’apparente clarté de la méthode de calcul de la taxe, le juge marque un désaccord: «Même s’il procédait à ce calcul concernant son propre véhicule, le citoyen n’était, faute d’information, pas en mesure d’estimer quelle serait l’importance de l’augmentation».
Conclusion: «les informations communiquées par les autorités sont en partie erronées et incomplètes (…). La liberté de vote protégeant la libre formation de l’opinion des citoyennes et l’expression fidèle et sûre de leur volonté a été violée.»
«À suivre cet arrêt, l’électeur lambda à Genève serait désormais mathématicien et garagiste spécialiste en CO2»
À l’initiative de ce recours, Daniel Sormanni réagit: «Je ne peux pas accepter ce verdict, qui fustige les plus modestes et les moins outillés pour appréhender un tel scrutin. Le juge minoritaire le dit bien: tout le monde s’est trompé, les députés les premiers. Les aînés ou les moins formés auraient dû faire quoi? Hors de question des les abandonner! Ce n’est pas juste. La loi doit protéger tout le monde, surtout dans le domaine des droits politiques.»
Ses avocats, Mes Romain Jordan et Stéphane Grodecki confirment à Léman Bleu que l’affaire sera portée devant le Tribunal fédéral: «La majorité de la Chambre constitutionnelle dit, en substance, à tous les Genevois qu’ils n’ont rien compris et que c'est de leur faute. À suivre cet arrêt, l’électeur lambda à Genève serait désormais mathématicien et garagiste spécialiste en CO2. Aussi et surtout, il ne devrait donner aucun crédit à ce que les autorités lui disent!»
Conseil d'État satisfait
Du côté du gouvernement on salue au contraire une décision «qui confirme que la brochure explicative exposait les avantages et les inconvénients de la loi de manière objective et proportionnée. Les effets de la nouvelle loi étaient donc prévisibles et le montant de l’impôt concerné était déterminable avec exactitude, même si les juges relèvent que certains députés semblent ne pas avoir mesuré, alors, toutes les conséquences de la nouvelle loi.»