Genève

Communicants à l’État: «risques d’abus et avantage indu»

03.12.2024 11h00 Rédaction

SCHWEIZ GENF RECHNUNGSHOF François Paychère, magistrat à la Cour des Comptes, a dirigé les travaux d'enquête. (KEYSTONE/Martial Trezzini)

Fin de l’enquête de la Cour des Comptes sur l’épineuse question de l’usage des ressources publiques à des fins privées par des conseillers d’État en campagne.

Des risques importants et avérés d’abus sont pointés. La Cour constate «un avantage indu aux sortants, le tout financé par l’argent public» s’agissant des conseillers personnels. Par ailleurs, un chiffre vertigineux de 191 communicants est articulé. 

Notre dossier complet sur l'affaire Fischer

Encore une suite de l’affaire Fischer. Après que la commission de contrôle de gestion du parlement a affirmé que l’ancienne magistrate verte «s’est servie au lieu de servir», les juges de la Cour des Comptes, sur mandat du Grand Conseil, ont élargi les investigations au Petit État. Leurs conclusions ne manquent pas de sel. Tour d’horizon. 

Sans évoquer les cas particuliers, la Cour des Comptes relève que Genève doit muscler son cadre légal et réglementaire pour lutter contre de tels abus et éviter que des ressources de l’État ne soient utilisées à des fins privées par les conseillers d’État en campagne. Ce principe figure dans les lignes directrices de la commission de Venise, instance consultative du Conseil de l’Europe, dont la Suisse est membre. 

Risques d’abus durant les campagnes

La situation particulière des conseillers personnels, un statut spécial prévu par la loi, consacre «un avantage indu aux sortants, le tout financé par l’argent public», dénonce la Cour. En effet, le gouvernement admet que les missions de ces personnes, rattachées au seul conseiller d’État et dont le mandat s'éteint avec le départ du magistrat, débordent sur un registre électoral. 

En période électorale, le risque d’abus des ressources administratives est particulièrement important au sein du personnel travaillant autour d’un conseiller d’État, note la Cour. Précisant que les collaborateurs de l’administration sont pour la plupart au clair sur l’interdiction d’exécuter de telles tâches, la réalité est qu’il serait difficile de dire non à un ministre formulant des demandes qui dépasseraient le cadre. 

«Obstacle à l’intégrité des scrutins»

Dans leur rapport, les juges enfoncent le clou: «ces abus constituent un obstacle au bon déroulement des élections et sont susceptibles d’affecter l’intégrité et la crédibilité des scrutins.»

Dans l’immédiat, les cahiers des charges des communicants gravitant dans les états-majors des départements ont été revus. Des modifications qui font suite à une autre enquête de Léman Bleu qui avait de haute lutte obtenu ces documents en recourant à la Loi sur la Transparence.  

191 communicants ?

Les magistrats de la Cour des Comptes ont également procédé à un inventaire des communicants. Entre communication interne, liée aux politiques publiques ou institutionnelle, pas moins de 191 collaborateurs sont mobilisés, équivalant au temps de travail de 67 personnes à temps plein. Selon le Conseil d’État, ce chiffre serait deux fois inférieur. Qui croire?

Autre problème, l’État de Genève n’est pas en mesure de chiffrer les dépenses en lien avec sa communication en raison d’une absence de comptabilisation précise, notamment des mandats externes. Conséquence, un pilotage inefficace des ressources de l’État. Car sans analyse, aucune amélioration possible quant à l’usage des deniers publics. 

Le Conseil d'État répond

Les observations du gouvernement figurent en annexe du rapport. Il dit «prendre note des pistes de réflexion», s’agissant de l’utilisation des ressources publiques à des fins personnelles dans le cadre des campagnes électorales. En revanche, il déclare un peu rapidement que «la Cour ne constate aucune mauvaise utilisation des ressources publiques». 

Selon le Conseil d’État, l’analyse comptable des dépenses en communication, telle que recommandée par la Cour des Comptes, s’inscrit dans le débat «réaliser des tâches publiques versus les mesurer.»

Enfin, il explique que la situation des collaborateurs personnels, telle que visée par la Cour des Comptes, est issue de la volonté du Grand Conseil. La Cour rectifie et indique qu’à aucun moment le Grand Conseil n’a validé le principe d’une participation active de collaborateurs de l’État dans des campagnes électorales. 

La Cour des Comptes ouvre une consultation, sans émettre de recommandation précise, face au chantier titanesque qui semble s’ouvrir. Reste à voir si le Conseil d’État en fera une priorité. 

Dans le sillage de l’affaire Fischer

Pour rappel, Léman Bleu, grâce aux ressources de la Loi sur la Transparence activées par l’élu MCG Daniel Sormanni, révélait en août 2023 que l’ancienne conseillère d’État avait fait travailler plusieurs collaborateurs de son département sur sa campagne de réélection. Fabienne Fischer le conteste toujours aujourd’hui. 

Des mandats qu’elle avait octroyés à des projets portés par son compagnon avaient également fait l’objet d’une enquête de notre rédaction. La justice est saisie et déterminera si ces actions sont pénalement répréhensibles. 

Enquêtes en cascade

Politiquement, ces affaires ont provoqué l’ouverture en chaîne d’enquêtes dont les résultats tombent peu à peu. Après le rapport accablant de la sous-commission chargée d’enquêter sur le volet «campagne électorale», un rapport du Service d’audit interne pointait aussi une gestion contestable de l’argent public dans l’octroi des mandats externes par l’État et la possible non-conformité légale pour plusieurs d’entre eux. Une question également au cœur d’un autre rapport de la Cour des Comptes attendu tout prochainement.